Deux parutions discographiques, à l’occasion du centenaire de la mort du compositeur, invitent à réviser ses classiques, de la « Danse macabre » au « Carnaval des animaux ».
Pochette de l’album « Saint-Saëns. Le Carnaval des animaux et Poulenc. Double concerto », avec Alex Vizorek, le duo Jatekok et l’Orchestre national de Lille sous la direction de Lucie Leguay. ALPHA CLASSICS/OUTHERE MUSIC FRANCE« C’est une éponge ! », s’exclamait le musicologue Yves Gérard (1932-2020) pour rendre compte de la personnalité de Camille Saint-Saëns (1835-1921), compositeur sur lequel il avait longuement planché en vue d’une biographie jamais aboutie. La capacité d’absorption du musicien était, en effet, phénoménale. Tout comme son parcours. Enfant prodige du piano, il donne son premier concert à l’âge de 6 ans, entre au Conservatoire à 12, est nommé organiste de l’église Saint-Merry, à Paris, à 17, avant de mener de front une carrière de virtuose international et une activité de compositeur prolifique qui en feront une figure majeure de la musique de la seconde moitié du XIXe siècle.
Reynaldo Hahn, compositeur : « Saint-Saëns est le dernier grand classique de l’art musical »
De santé fragile, pour avoir eu, très jeune, la tuberculose, il passe chaque hiver dans des pays chauds et meurt à Alger, le 16 décembre 1921. « Personne n’a disposé d’un vocabulaire musical aussi nombreux, aussi divers, et personne n’aurait pu s’en servir ainsi », résume, deux jours plus tard, dans le quotidien Excelsior, son collègue Reynaldo Hahn (1874-1947), moins direct qu’Yves Gérard, sauf pour l’ultime sentence : « Saint-Saëns est le dernier grand classique de l’art musical. » Publié par Naxos, à l’occasion du centenaire de la mort du compositeur, un coffret de trois CD en réédition permet de réviser son « classique » dans des conditions idéales.
En commençant par la Danse macabre. L’interprétation de Marc Soustrot, à la tête du Malmö Symphony Orchestra, brosse parfaitement le tableau. Les douze coups de minuit à la harpe, la mort qui approche sur la pointe des cordes graves, avant de mettre le feu aux poudres avec son violon, tout y est servi avec justesse. La restitution des autres poèmes symphoniques n’est pas moins impeccable. Les textures effilées du Rouet d’Omphale (1872), le magnétisme de Phaéton (1873), l’horizon mirifique de La Jeunesse d’Hercule (1877), les intentions de Saint-Saëns sont rendues avec fidélité, donc avec efficacité.
Clins d’œil
Constat qui vaut aussi pour l’intégrale des symphonies. C’est la 3e, construite sur le thème grégorien du Dies irae, qui impressionne le plus, notamment par ses réminiscences de Beethoven et de Mendelssohn. Ecrite en 1886, comme LeCarnaval des animaux, elle culmine dans un final qui conjugue la puissance d’un orgue éléphantesque et la grâce d’un piano aquatique. L’art de Saint-Saëns consiste à prendre l’auditeur par la main et à le conduire où il veut au fil d’épopées symphoniques.
L’« Aquarium », devenu l’hymne du Festival de Cannes, voit passer Anne Brochet, Didier Sandre et Brigitte Bardot
Toutefois, pour les miniatures, un guide n’est pas inutile. C’est ce qu’a dû se dire Alex Vizorek pour présenter Le Carnaval des animaux à la manière de Pierre et le Loup, le conte musical de Serge Prokofiev, dans un album qui devrait paraître vendredi 27 août chez Alpha Classics. L’humoriste belge a écrit un texte en alexandrins, taillés dans la langue d’aujourd’hui et à l’adresse de tous, comme en témoigne l’accroche initiale. « Chers enfants, chers parents, ça ressemble à Rio/C’est l’heure du Carnaval, oui, mais des animaux. » Du Roi Lion à Harry Potter, pour les uns, de Corneille (Le Cid) à Renaud (Mistral gagnant), pour les autres.
Chaque préparation à l’entrée en scène des vedettes du bestiaire musical est un régal à base de clins d’œil – du Saint-Saëns avec des mots, en quelque sorte. Ainsi, l’Aquarium, devenu l’hymne du Festival de Cannes, voit-il passer Anne Brochet, Didier Sandre et Brigitte Bardot. L’Orchestre national de Lille se montre espiègle à souhait sous la direction de Lucie Leguay.
La Danse macabre est ensuite donnée en version pour piano à quatre mains, moins suggestive que la partition d’orchestre. Entre les deux « tubes » de Saint-Saëns, on a droit au Concerto pour deux pianos, de Francis Poulenc, musique de fête foraine avec flonflons et jeux de massacre que le duo Jatekok investit avec brio. Choix judicieux, car Poulenc aussi est une véritable « éponge ».