Après une année sabbatique fructueuse, riche en découvertes littéraires et musicales, Till Fellner, cet immense artiste, vient enfin de se faire entendre à nouveau à Paris, dans la série remarquable des concerts du dimanche matin au Théâtre des Champs-Élysées.
Commencer par Mozart se justifie musicalement, même s’il y a une prise de risque réelle pour l’interprète avec la fausse facilité de ces pages vraiment trop peu entendues au concert.
L’admirable Rondo n°3, appartenant aux dernières années de la vie du compositeur, avec sa tonalité en la mineur à la tristesse pudiquement masquée, semble une œuvre de prédilection de l’artiste qui l’a déjà enregistrée et la met souvent à son programme. Suit la Sonate n° 4, datant de 1774, l’une des six premières sonates pour clavier seul (sans violon). Till Fellner sait éviter soigneusement tous les pièges de la surinterprétation, des effets dynamiques qui nuisent si souvent à la linéarité du dessin mélodique et, avec un contrôle absolu de l’égalité du toucher, il sait rendre à l’écriture toute sa clarté, sa transparence.
Quant aux Kreisleriana de Robert Schumann, même si ce titre est emprunté à l’écrivain à E. T. A. Hoffmann, cela n’en fait pas une œuvre où règne le fantastique.
La structure, fort savante, où les courtes pièces impaires et agitées alternent avec les pièces paires lentes, plus mélodiques (et sublimes, comme le deuxième morceau) ne laisse pas de place à ce type de romantisme, hormis la septième pièce. L’œuvre de Hoffmann a été abandonnée désormais par le musicien au profit de celle du poète Heine, « le double de ses trente ans » dit-il en 1840 (le Dichterliebe n’est pas loin).
Le pianiste se révèle un coloriste fabuleux, parant l’œuvre de nuances choisies, d’une variété et d’une subtilité stupéfiantes, calculant leur rapport note à note pour leur donner le maximum d’intensité dans cette quête tendue de l’Au-delà.